1 oct. 2009

Blog, work in progress

Dans la note précédente, je tentais de préciser ce qui me dérange dans la mise en récit de l'amour. Je finis par mettre le doigt dessus et le formule en donnant une anecdote sur Aragon et Elsa (je les utilise eux car c'est l'exemple qui me vient à l'idée à ce moment là). Ce qui me dérange, essaye-je de dire dans cette note, c'est la fabrication par le récit d'une image du sentiment, dont la nature en tant qu'image est d'aspirer à une forme de fixité, d'autonomie, de durabilité.
Si je fais le récit public de mon amour, ma parole tombe sur le miroir de l'opinion commune. Et ce faisant, elle se fige.

Aragon essayait de fabriquer une image publique de son amour. Normal, puisque c'était un poète. Mais ce faisant, il s'éloignait de la réalité et tuait le principe même de sa poésie qui était d'exprimer cette réalité.

Il en va de même de toute forme de sentiment. Par exemple, si j'essaye d'exprimer publiquement le nuage sentimental qui compose mon être intime, je le fige, par effet de miroir.


Il en va de même d'une note de blog : son principe, au départ, est une certaine forme de spontanéité : c'est en tous cas le cap que je m'étais fixé. Je devais m'en servir pour faire évoluer ma pensée en en gardant une trace, une image. Mais cette image, pensais-je, devais être celle d'un corps en mouvement, comme dans un carnet de notes. Mais ainsi ne va pas le blog : ce qui est écrit prend une allure plus figée que ce qu'on voudrait, du fait du miroir composé par le regard des autres.

Par exemple, dans la note précédante, j'avais essayé de conclure en disant : "l'inauthenticité du sentiment consiste à plus croire à l'image du sentiment qu'au sentiment". J'avais Aragon, et ce qu'il symbolisait, en tête. Mais une telle phrase, écrite, extraite du flux contradictoire et mouvant de la pensée qui cherche et se contredit, devient solennelle et stupide. Autrement dit : figée. Alors je l'ai effacée, tout en la regrettant car cette sensation qu'elle est trop solennelle est intéressante à analyser.

Une note de blog ressemble déjà trop à une œuvre pour qu'elle puisse être ce que je voudrais qu'elle soit : une chose modeste, un work in progress où on a le droit de se tromper. Il y a en elle quelque chose d'encore trop près du livre et de trop loin de la parole. Je n'ai sans doute pas encore appris à m'en servir correctement. Ca viendra. Ou pas. A suivre.

4 commentaires:

  1. Certes, par le blog, un billet se fige. D'une autre côté, le billet suivant le met de nouveau en mouvance ; un troisième le pousse déjà vers l'horizon. Mais par pour toujours, si on ne le souhaite pas; on peut les reprendre, on peut les remonter. Je pense qu'il y a surtout un temps incertain pendant lequel "l'auteur" d'un blog doit s'habituer à ces mouvements, précisément. De les voir (les billets) prendre forme, se figer, se remettre à vivre - et aussi de faire le deuil de ceux qui, dès qu'on en a écrit un nombre suffisant d'autres, semblent déjà disparaître vers d'autres cieux. Et mourir.
    En ce qui concerne les réflexions autour de l'être intime qui s'exprime ou non - et surtout qui ne s'exprime pas. Oui et non. D'accord et pas d'accord. Evidemment, chaque auteur, bloggeur, met en avant ce qu'il a envie de mettre en avant - il en tait d'autres parties, cela va de soi. Mais je pense tout de même que certaines choses - et peut-être bien plus que ce qu'on croit - apparait entre les lignes, entre les billets. C'est bien ça, la beauté : dans ce qui semble désespérant modeste, voir figé, pour l'un, s'entrevoit souvent déjà beaucoup plus que ce qu'il ne pense - et cela est loin d'être figé.

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  2. PS. Je la vois très bien devant moi, Elsa, du billet précedent - raisonablement nonchalante, faisant une geste de main pour enlever ses cheveux, au moment de "l'interview". COmme une photo, ou plutôt un petit film en noir et blanc, muet et sous-titré. Excellent.

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  3. C'est vrai ce que vous dites Fransyskan H. Ce qui se passe, c'est que je suis un affreux rationaliste, qui aimerait pouvoir tout dire de manière claire et rationnelle, pas seulement entre les lignes, et qui - évidemment - n'y arrive jamais, d'où agacement et consternation. Au final, je trouve les gens imbéciles, moi y compris, et l'outil blog trop frustre.

    Je continue de croire que c'est à travers un roman qu'on s'exprime le mieux.

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  4. Il se peut que vous avez raison, il se peut, - mais je ne le pense point. Ou plutôt, je pense qu'il y a plusieurs manières de s'exprimer, à travers l'usage des outils divers mis à notre disposition. Et à travers les manières différentes (longues, courtes, romanesques, ironiques - j'adore votre billet sur le tournage, il me fait rire ! Vous n'êtes pas un imbécile (enfin, il se peut, il se peut, mais je ne le pense point...).

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