4 nov. 2009

Création et imitation (1)

L'ouverture de l'esprit est d'abord une fermeture aux solutions toutes faites des autres.

Reprenons notre exemple de Chloé : n'ayant jamais entendu parler d'amour, la description qu'elle fait de son état est forcément originale, neuve, exempte de clichés, créative.

Reprenons notre exemple de Tavernier : imbibé de culture cinématographique, la narration qu'il fait de l'histoire d'amour de Mme De Montpensier est tapissée de citations, de pastiches, de clichés, d'imitations.

Au point de départ de la divergence entre un esprit créatif comme celui de Chloé et un esprit imitateur comme celui de Tavernier, nous trouvons une divergence d'attitude : Chloé cherche en elle la solution, quand Tavernier va la chercher dans sa culture. L'une invente, l'autre emprunte.

Pour inventer plutôt qu'emprunter, il faut être ignorant comme Chloé, ou avoir le goût de l'expérimentation, ou penser qu'on fera mieux que les autres.

Pour imiter plutôt qu'inventer, il faut être paresseux, ou pressé, ou ne pas avoir confiance en ses moyens.

(A suivre.)

28 oct. 2009

Ouverture de la pensée, enfance, ignorance

Si l'on parle de circularité de la pensée, alors ont doit s'intéresser à son ouverture. Ce qui est un peu plus compliqué.

Comme disait l'autre, il est plus facile de parler des grandes choses par la négation que par l'affirmation : je ne sais pas ce qu'est Dieu, mais je sais qu'il n'est pas fini.

L'ouverture de la pensée est donc l'inverse de sa fermeture. C'est donc l'inverse d'une paresse, et l'inverse d'un savoir déjà construit : elle est ignorance et curiosité. Deux traits enfantins. L'ouverture de la pensée est un trait enfantin.

On pense à ces gens qui jouent à l'adulte. Mon frère, par exemple, pour ne pas le nommer, s'est empressé, devenu jeune homme, d'imiter mon père pour masquer ses complexes.

Nous avions déjà vu, d'ailleurs, que la circularité de la pensée a à voir avec l'imitation. Inversement, l'ouverture de la pensée a donc à voir avec la création.

Là où la circularité de la pensée génère du pastiche, son ouverture crée de nouvelles formes.

Une créativité qui se nourrit, non pas de la culture, mais de son insuffisance.

18 oct. 2009

Circularité, film en costume, pastiche, littérature de genre

1) Ici, nous avons parlé de circularité de la pensée.
2) Là, de pastiche.
3) Là, de circularité de la culture.
 

Ou le même phénomène, abordé par trois faces différentes.



1) Au départ, la circularité de la pensée : je remplace ma perception du monde par la connaissance que j'en ai acquise, je ne renouvelle plus mes idées, mes concepts, mes catégories, ma vision perd sa fraîcheur.
2) Si je créé, je crée des pastiches, de la littérature de genre, des films en costume, à base de clichés, de choses déjà vues et entendues, car la nouveauté du monde m'est devenue invisible et ma pensée n'est plus capable d'inventer.
3) Et si je couche avec une prostituée, ce n'est pas avec une personne humaine que je fais l'amour, mais avec une figure littéraire, car l'inédit humain m'est devenu invisible, je ne vois plus la singularité, juste des grandes catégories.

1) Humainement 2) artistiquement 3) moralement, je suis devenu sec, mort, mécanique. Je suis devenu un être circulaire.

Circularité de la pensée


Ma petite fille de 9 mois prend des objets, les regarde, les touche, les met dans sa bouche. Elle explore et apprend, élargi sa connaissance du monde.

Plus tard, pendant les études, les jeunes gens curieux absorbent les connaissances qu'on leur enseigne, débattent, observent, échangent, réfléchissent.

Puis les adultes les plus curieux continuent à apprendre, observer, enrichir leur connaissance du monde.

A chaque étape, le nombre de ceux qui continuent à apprendre diminue. Les autres se contentent de l'acquis. Pour lire le monde, ils se servent des catégories déjà existantes en eux.

C'est la circularité de la pensée.

14 oct. 2009

Frédéric Mitterand, authenticité, langage, circularité de la culture


Quand le ministre de la culture écrit un livre où il confesse ingénument qu'il consomme des jeunes garçons dans les bordels de Thaïlande, il est victime de l'" inauthenticité" de son langage à l'instar de Tavernier dans son film la Princesse de Montpensier, et au delà de son langage, des catégories de sa perception.

Ce qu'il voit, c'est une riche tradition culturelle, Jean Genet, Nabokov, Gide, Houellebecq, où les bordels sont exotiques, littéraires, et les objets du désir pas nécessairement majeurs. En se racontant, en baisant, il se range au milieu d'une compagnie illustre.

A l'instar du langage de Tavernier, son langage renvoie à des œuvres, pas à une réalité. C'est la circularité de la culture.

Et la souffrance du jeune prostitué, le ministre de la culture ne la voit pas : ce qu'il voit à la place, c'est... de la culture.

13 oct. 2009

Authenticité et langage

J'ai défendu l'idée dans des billets antérieurs qu'un langage "authentique" est un langage "propre", peu utilisé, léger en références, qui n'insère pas une foule d'idées pré-existantes entre le réel exprimé et nous.


A titre d'exemple, je citais Cholé, qui n'a jamais entendu parler d'amour et peut donc exprimer ce qu'elle ressent pour Daphnis de manière parfaitement authentique, sans subir l'interférence d'une culture qu'elle n'a pas.

A titre de contre-exemple, je citais Tavernier, dont le dernier film en costume ne cherche plus à parler du réel, ou si peu, et qui se contente de manier un langage usé jusqu'à la corde, surchargé de références, et qui, de ce fait, fait plus référence à une culture (cinématographique) qu'à une réalité perçue.

On pourrait croire, en me lisant, que je mène un combat contre les simplifications du langage : pas du tout.


Dans son journal, Ernst Jünger remarque que le réel est si complexe que, si on le simplifie pas, on se noie en le contemplant. Pour éviter cette noyade, l'esprit remplace les individus par des termes génériques comme "fleur", "mouton", "immeuble". Ainsi, on peut traverser les villes ou les champs sans être happé par la quasi infinité de nuances différenciant les fleurs entre elles, les immeubles entre eux, les moutons entre eux.

Mais si les simplifications du langage sont nécessaires au mouvement de notre esprit, elles le font aussi glisser vers une expression inauthentique, une perception du réel appauvrie.

Par exemple, le terme générique "Chinois" me permet de simplifier ma perception d'une foule chinoise, de ne pas me laisser happer par la diversité quasi infini des visages chinois. Mais cette simplification est aussi porteuse d'inattention, de simplifications outrancières, assimilable dans les faits à un début de racisme.

En forgeant des termes génériques tels que "Chinois" ou "fleur", nous nous éloignons de notre contact direct avec le réel - et ses variations infinies - et appauvrissons volontairement ou non la compréhension que nous en avons.

De même, en forgeant un terme générique tel que "amour", nous nous éloignons de notre contact direct avec le réel - le sentiment singulier d'une personne singulière pour une personne singulière - et appauvrissons la compréhension que nous en avons.

Ainsi, nous remplaçons la compréhension directe que nous pourrions avoir de nous-mêmes par une série d'idées forgées par d'autres, d'après l'observation d'autres.


C'est la circularité de la culture.

11 oct. 2009

Tavernier, authenticité, pastiche


Si une expression authentique se caractérise par l'usage d'un langage propre - comme Chloé  -, alors il est difficile de trouver plus inauthentique que le futur film en costume de Tarvernier, la Princesse de Montpensier.



Pour Aristote, l'art est une imitation du réel. Le film de Tavernier, lui, n'imite pas le réel, mais le cinéma : la fumée artificielle qui flotte sur les douves de son château, par exemple, il ne l'a pas vue dans le réel, mais dans de nombreux films d'époque où de la fumée flotte pour signifier qu'il s'agit d'une époque de ténèbres. Et cette fumée lui a d'ailleurs tellement plu qu'il en a fait flotter jusque dans la chapelle (il est vrai qu'on n'y célèbre pas un mariage d'amour).


Son film est donc une imitation d'imitations, un pastiche. Robert Bresson, qui détestait les pastiches, comparait les pasticheurs à ces fous imitant Napoléon, dont la nature n'était pourtant pas d'imiter.

Mais on peut aussi défendre l'usage du pastiche, ce qui fera l'objet d'une future note.