13 oct. 2009

Authenticité et langage

J'ai défendu l'idée dans des billets antérieurs qu'un langage "authentique" est un langage "propre", peu utilisé, léger en références, qui n'insère pas une foule d'idées pré-existantes entre le réel exprimé et nous.


A titre d'exemple, je citais Cholé, qui n'a jamais entendu parler d'amour et peut donc exprimer ce qu'elle ressent pour Daphnis de manière parfaitement authentique, sans subir l'interférence d'une culture qu'elle n'a pas.

A titre de contre-exemple, je citais Tavernier, dont le dernier film en costume ne cherche plus à parler du réel, ou si peu, et qui se contente de manier un langage usé jusqu'à la corde, surchargé de références, et qui, de ce fait, fait plus référence à une culture (cinématographique) qu'à une réalité perçue.

On pourrait croire, en me lisant, que je mène un combat contre les simplifications du langage : pas du tout.


Dans son journal, Ernst Jünger remarque que le réel est si complexe que, si on le simplifie pas, on se noie en le contemplant. Pour éviter cette noyade, l'esprit remplace les individus par des termes génériques comme "fleur", "mouton", "immeuble". Ainsi, on peut traverser les villes ou les champs sans être happé par la quasi infinité de nuances différenciant les fleurs entre elles, les immeubles entre eux, les moutons entre eux.

Mais si les simplifications du langage sont nécessaires au mouvement de notre esprit, elles le font aussi glisser vers une expression inauthentique, une perception du réel appauvrie.

Par exemple, le terme générique "Chinois" me permet de simplifier ma perception d'une foule chinoise, de ne pas me laisser happer par la diversité quasi infini des visages chinois. Mais cette simplification est aussi porteuse d'inattention, de simplifications outrancières, assimilable dans les faits à un début de racisme.

En forgeant des termes génériques tels que "Chinois" ou "fleur", nous nous éloignons de notre contact direct avec le réel - et ses variations infinies - et appauvrissons volontairement ou non la compréhension que nous en avons.

De même, en forgeant un terme générique tel que "amour", nous nous éloignons de notre contact direct avec le réel - le sentiment singulier d'une personne singulière pour une personne singulière - et appauvrissons la compréhension que nous en avons.

Ainsi, nous remplaçons la compréhension directe que nous pourrions avoir de nous-mêmes par une série d'idées forgées par d'autres, d'après l'observation d'autres.


C'est la circularité de la culture.

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